La distribution représente un défi majeur pour les brasseries artisanales et distilleries françaises. Entre circuits CHR (Cafés, Hôtels, Restaurants), grande distribution et vente directe, les producteurs doivent aujourd’hui naviguer dans un écosystème complexifié par la crise sanitaire de 2020, le climat géopolitique de ces dernières années et l’évolution des comportements de consommation. Cet article explore des stratégies gagnantes pour optimiser sa distribution, éviter les pièges classiques et construire une croissance durable.
L’évolution post-Covid de la distribution dans les boissons
La digitalisation accélérée
La période Covid a profondément transformé les modèles de distribution. Le e-commerce et le click & collect, autrefois accessoires, sont devenus des canaux incontournables. Des acteurs comme Le Fourgon ont développé des solutions logistiques performantes, résolvant le défi du dernier kilomètre avec des créneaux de livraison précis et un système de consigne efficace.
Les brasseries ont dû rapidement s’adapter. Ninkasi, par exemple, a déployé un système de click & collect intégré à ses établissements, permettant aux clients de commander bières et spiritueux lors du retrait de leurs repas. Cette flexibilité a permis de maintenir des revenus pendant les périodes de fermeture tout en créant de nouveaux points de contact avec les consommateurs.
Réinvention des distributeurs traditionnels
Le paysage de la distribution a connu une redistribution des cartes. Les grands distributeurs investissent désormais dans des brasseries artisanales ou rachètent des distributeurs craft pour élargir leur offre. La Maison du Whisky a ainsi pris des parts dans DBI, combinant expertise spiritueux et savoir-faire brassicole.
Certains distributeurs créent même leurs propres brasseries pour proposer une blonde de soif à moindre coût, court-circuitant les grandes brasseries traditionnelles. Cette verticalisation modifie les rapports de force et oblige les producteurs à repenser leur positionnement.
Distributeurs : partenaires ou menace pour l’artisanat ?
Les apports concrets des distributeurs
Les distributeurs créent de la valeur par leur excellence logistique. Pour un point de vente CHR, centraliser ses commandes auprès d’un seul fournisseur simplifie considérablement la gestion quotidienne : une seule livraison, une seule facture, un seul suivi. Ce gain de temps se traduit directement en économies opérationnelles.
Au-delà de la logistique, les distributeurs offrent un accès au marché difficilement réplicable en direct. Leurs plateformes d’achat permettent d’assurer des volumes réguliers et une présence nationale difficile à atteindre pour une structure artisanale. Pour les producteurs, cette masse de marge garantie permet d’amortir certains investissements et de sécuriser une partie du chiffre d’affaires.
Les risques de dépendance
La médaille a son revers. Les contrats brasseurs peuvent verrouiller un point de vente sur une gamme spécifique. Même si légalement, un établissement garde le droit d’avoir 15% de références hors contrat, atteindre les volumes négociés devient crucial pour bénéficier des remises. Cette mécanique incite les tenanciers à ne pas prendre de risques avec des brasseries indépendantes.
La dilution de marque constitue un autre danger. Certains distributeurs récupèrent des produits initialement positionnés en CHR premium pour les proposer en grande distribution à des tarifs cassés. Cette stratégie détruit la cohérence de l’architecture de marque et frustre les cavistes qui ne peuvent plus justifier leurs prix face à la concurrence de la GMS.
Construire une architecture de distribution cohérente
Segmenter son offre par canal
La clé d’une distribution réussie réside dans la segmentation intelligente de sa gamme. Les circuits CHR et cavistes doivent recevoir des produits premium, accompagnés d’un storytelling fort et d’une expertise produit. Ces canaux construisent la notoriété et l’image de marque grâce à l’expérience client et au conseil personnalisé.
La grande distribution, elle, permet de générer du volume et de la masse de marge sur des références plus accessibles. Cette distinction permet d’éviter la comparaison directe des prix entre canaux. Un consommateur omnicanal pourra ainsi découvrir une gamme spéciale en CHR, puis racheter la gamme classique en GMS, sans mettre en danger l’équilibre économique.
Optimiser la chaîne de valeur
Les producteurs doivent évaluer précisément leurs contreparties lors des négociations de référencement. Un tract en grande distribution n’a de valeur que s’il est positionné en période haute (novembre-décembre pour la bière), pas en septembre quand la saison est terminée. L’analyse fine des conditions commerciales évite de brader sa marge sans retour mesurable.
Le cycle de vie des fûts illustre parfaitement les enjeux opérationnels. Entre le départ de l’entrepôt producteur et le retour du fût vide, il peut s’écouler six mois en France, voire un an pour des produits importés. Ce délai doit être intégré dans les calculs d’amortissement et les besoins en fonds de roulement. Une gestion rigoureuse de la consigne devient alors un facteur de rentabilité majeur.
Les leviers d’activation en CHR
Créer de l’expérience client
Le CHR reste le canal privilégié pour construire la désirabilité d’une marque. Desperados a démontré cette stratégie en ne lançant initialement qu’en CHR, avec une bouteille sérigraphiée distinctive. L’objectif était de créer un objet désirable entre les mains de la cible 18-25 ans, avant de déployer en grande distribution.
Les rituels de dégustation renforcent cette différenciation. Monkey Shoulder a marqué les esprits avec ses animateurs masqués débarquant dans les clubs, créant une expérience mémorable autour du whisky festif. Ces activations génèrent du bouche-à-oreille et ancrent des souvenirs positifs qui se transforment en achats en GMS.
Déployer une PLV intelligente
Les opérations XXL en grande distribution nécessitent une planification rigoureuse. Le nombre de palettes vendues doit rentabiliser le coût de la PLV et des moyens marketing déployés. Une opération Fischer avait reconstitué un Bierstub alsacien complet au milieu du magasin, créant une visibilité maximale justifiée par les volumes écoulés.
La brasserie La Dilettante a développé une approche astucieuse au Lyon Bière Festival en distribuant des ballons à l’hélium marqués de leur logo. Cette visibilité à faible coût permettait aux festivaliers de se repérer dans la foule tout en assurant une présence visuelle constante de la marque.
Grande distribution : maximiser sa performance
Adapter son discours commercial
La grande distribution fonctionne sur la logique du volume et de la rotation rapide. Les négociations portent sur l’euro du litre, les remises sur quantité et les accords tracts. Contrairement au CHR où le relationnel prime, la GMS privilégie les arguments chiffrés et la profitabilité immédiate.
Les KPI essentiels incluent le taux de transformation (palettes vendues versus coût de l’opération), la couverture géographique obtenue et le référencement linéaire après l’opération promotionnelle. Un produit qui génère du trafic mais ne reste pas en rayon après l’opération représente un échec commercial.
Éviter la guerre des prix
La comparaison des prix entre circuits devient inévitable avec les consommateurs omnicanaux. Les cavistes se plaignent régulièrement de clients qui comparent avec les tarifs GMS. La solution passe par une offre différenciée : formats exclusifs pour le réseau spécialisé, éditions limitées, ou services additionnels (dégustation, conseil, événements).
La marque de distributeur (MDD) reste marginale dans les boissons alcoolisées, qui demeurent un marché de marques. Les consommateurs cherchent du sens, du plaisir et de l’émotion dans leurs achats de bières ou spiritueux. Ils préféreront consommer moins souvent mais mieux, plutôt que de se rabattre systématiquement sur la MDD premier prix.
« Opérationnaliser » sa croissance
Anticiper la scalabilité
Le dimensionnement de la brasserie ou distillerie constitue un risque financier majeur. Sous-dimensionner limite la croissance, sur-dimensionner crée des coûts fixes insupportables. Les façonniers comme De Proef permettent de tester le marché avant d’investir dans l’outil de production, offrant un test & learn précieux pour calibrer correctement ses investissements.
L’étude de marché approfondie reste indispensable malgré la volatilité économique. Les investisseurs exigent des projections et des business plans structurés. Même si ces prévisions évoluent dans le temps, l’exercice force à réfléchir aux canaux de distribution, aux prix de vente et aux investissements nécessaires.
Gérer les pics de demande
Quand la demande explose, la tentation de tout accepter peut conduire à la rupture. Il faut savoir dire non à certains référencements si les conditions commerciales détruisent de la valeur. L’analyse des contreparties (visibilité, volumes, data client, accords promotionnels) doit objectivement justifier toute concession sur la marge.
La durée d’engagement constitue également un garde-fou. Tester un nouveau distributeur sur six mois ou un an permet de vérifier le respect des engagements sans prendre de risque excessif. Si les volumes promis ne sont pas au rendez-vous, la sortie reste possible sans laisser trop de plumes.
Des prédictions boissons pour 2026 ?
L’essor du sans alcool et des softs
Le marché du sans alcool poursuit sa progression, porté par une réflexion sur la consommation responsable. Au-delà des bières 0%, les cidres et boissons fermentées sans alcool émergent. Nivers développe des boissons fermentées à base de thé, tandis que des innovations comme l’Ice Tea houblonné de VandeStreek combinent codes de la bière et univers des softs.
Les restaurants gastronomiques proposent désormais des accords mets-boissons 100% sans alcool, légitimant ces produits dans des contextes premium. Anne-Sophie Pic offre trois formules d’accord : alcool, mixte ou sans alcool, démocratisant cette approche dans la haute gastronomie.
Le mélange des genres
Les frontières entre catégories s’estompent. Les bières barriquées empruntent aux codes des spiritueux, créant des passerelles entre univers. Le cidre houblonné de Ti-Lõ Breton applique les techniques craft au cidre traditionnel, le modernisant avec succès.
Cette hybridation permet de capter de nouvelles clientèles et de créer des occasions de consommation inédites. Les kombuchas gagnent les tables gastronomiques, les tonic houblonnés remplacent les sodas classiques dans les bars tendance.
Innovations B2B pour le CHR
Des solutions techniques facilitent l’expérience client en CHR. Isautier a développé une machine de service à température négative pour ses rhums arrangés, garantissant une qualité constante et repositionnant le shot offert en fin de repas comme un moment premium plutôt qu’un cadeau de qualité douteuse.
Le Perfect Draft, initialement conçu pour les particuliers, s’est réinventé pour les petits établissements CHR qui ne peuvent installer des lignes de pression traditionnelles. Cette flexibilité répond aux contraintes opérationnelles tout en maintenant l’expérience de la bière pression.
Conclusion
La distribution dans l’univers des brasseries et distilleries nécessite une approche stratégique globale. Segmenter son offre par canal, négocier intelligemment ses contreparties, créer de l’expérience en CHR et optimiser sa performance en GMS constituent les piliers d’une distribution réussie. La période post-Covid a redistribué les cartes, offrant de nouvelles opportunités à ceux qui savent s’adapter. L’émergence du sans alcool, le mélange des genres et les innovations B2B dessinent un paysage en constante évolution, où l’agilité et la cohérence stratégique font la différence.

FAQ : Stratégie de distribution brasseries et distilleries
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Ludovic Mornand
PODCASTER & BOSS FINAL
Ludovic est le fondateur et directeur de Studio Blackthorns et SuperPotion™. Il anime les émissions SuperPotion™, The Bottlefield Show et 1000 Hectos, toutes les trois spécialisées dans le secteur de la boisson.
« À travers ce podcast, à la fois fun et enrichissant, j’ai souhaité marquer mon empreinte d’expert dans le secteur de la boisson alcoolisée et non-alcoolisée en invitant des professionnels de l’industrie : brasseurs, distillateurs, vignerons, cavistes, journalistes. Mon but est d’apporter de l’inspiration à ces acteurs de la filière Potions pour les aider à sans cesse se renouveler. C’est ainsi qu’est né le podcast SuperPotion™, une émission divertissante et empreinte de nostalgie pop-culture pour les années 90s. SuperPotion, un élixir d’innovation pour sublimer toutes vos boissons ! »