Deux agences de design concurrentes dévoilent leurs secrets de création de marques de boissons

parcours d’un expert en design de boissons

Le cheminement vers la spécialisation dans le design de boissons est rarement linéaire. Alexandre Arzuman témoigne d’un parcours classique de designer graphique initialement, avant une révélation lors d’un séjour aux Pays-Bas : « Je suis parti aux Pays-Bas pour ma dernière année d’études et c’est là où il y a eu un sacré bouleversement dans mon approche du design. »

Cette expérience internationale lui a notamment permis d’apprendre à vendre du branding et à développer une approche stratégique du design. Après avoir travaillé avec plusieurs agences, il a fondé son propre studio avant de s’associer avec Andy Migevant, designer industriel spécialisé dans le luxe, pour créer Studio Boam.

Cette combinaison d’expertises complémentaires – le design graphique orienté food d’un côté et le design industriel de luxe de l’autre – illustre parfaitement comment les parcours diversifiés enrichissent l’approche créative dans le secteur des boissons premium.

L’évolution des métiers de la création : du graphisme à la direction stratégique

Au fil des années, on observe une transformation significative des métiers créatifs dans le secteur des boissons. Les deux studios ont connu une évolution similaire, partant d’une approche centrée sur la production graphique pour évoluer vers une vision plus stratégique.

Cette transition du graphiste au directeur de création pose plusieurs défis. Comme l’évoque Alexandre Arzuman : « Quand tu travailles à fond pendant 8 ans, j’avais aussi envie de prendre de la hauteur et de pouvoir déléguer. » Cette évolution implique d’accepter de ne plus être constamment un exécutant pour se concentrer davantage sur le management, la stratégie et la vision d’ensemble.

Cette maturation professionnelle s’accompagne d’une prise de conscience importante : le terme « direction artistique » est souvent galvaudé, particulièrement chez les jeunes diplômés. La véritable direction artistique va bien au-delà de l’exécution graphique – elle englobe une vision stratégique, une capacité à diriger des équipes et une compréhension profonde des enjeux commerciaux.

Stratégie versus image : le dilemme fondamental en France

L’un des débats centraux dans la création de marques de boissons concerne l’équilibre entre stratégie et image. Chez Studio Blackthorns, cette approche est conceptualisée comme un « exorcisme de marque » – l’idée qu’une marque peut souffrir d’un trouble d’identité qu’il faut d’abord purifier avant de pouvoir construire quelque chose de vraiment authentique.

La question se pose alors : faut-il d’abord vendre une stratégie ou une image ? La réponse est nuancée et dépend largement du contexte. Comme le souligne Alexandre Arzuman : « On pose toutes ces questions, c’est-à-dire les coûts, le nombre de ventes, etc. Si tu te rends compte que l’objectif c’est de faire entre 5 et 15 000 bouteilles, et que le budget est entre 10 et 25 000 euros, mais que les références sont des marques sur mesure hyper complexes, tu vois qu’il y a déjà un paradoxe entre le budget et le résultat souhaité. »

Cette tension illustre parfaitement le défi auquel font face les agences spécialisées : éduquer les clients sur l’importance de la stratégie tout en reconnaissant les contraintes budgétaires et temporelles. Dans un monde qui demande des résultats toujours plus rapides, le prototypage itératif semble souvent l’emporter sur les démarches stratégiques plus approfondies, souligne Ludovic.

La création d’une marque iconique : le cas Bacanha

Pour illustrer l’impact d’une approche stratégique bien pensée, Studio Boam partage l’exemple frappant de Bacania, une marque de sirop préalablement distribuée dans de simples bouteilles en plastique avec une marque quasi inexistante sur l’étiquette.

La transformation a été radicale : passage à une bouteille en verre, refonte complète de l’étiquette, choix de papiers premium, et repensée globale de tous les points de contact de la marque. Même si cette approche a impliqué des investissements significatifs, les résultats en termes de volumes de vente et de perception de marque ont été spectaculaires.

Comme l’explique Alexandre Arzuman : « Aujourd’hui, tu t’achètes pas un sirop, tu t’achètes une belle petite bouteille. Les gens gardent la bouteille, tu en fais un soliflore, tu en fais un bougeoir… »

Ce cas illustre parfaitement comment une stratégie de marque bien pensée peut transformer un produit fonctionnel en objet de désir, permettant une valorisation substantielle et une différenciation significative sur un marché pourtant hautement concurrentiel.

L’importance du brief initial et de la compréhension du marché

Un élément crucial dans la réussite d’un projet de design de boisson est la qualité du brief initial. Studio Boam a développé un questionnaire détaillé permettant de qualifier les leads entrants, une approche qui présente plusieurs avantages :

• Elle facilite l’orientation des clients vers des solutions adaptées à leur situation
• Elle aide à établir des attentes réalistes dès le départ

Au-delà du brief, la connaissance approfondie du marché est un facteur déterminant. « Ceux qui connaissent leur marché ont 10 longueurs d’avance, » affirme Alexandre Arzuman. Cette compréhension des tendances, des codes et des attentes des consommateurs permet de créer des designs qui résonnent vraiment avec leur public cible.

Toutefois, même avec cette expertise, le succès n’est jamais garanti. Des facteurs comme le timing, le positionnement prix, et la qualité intrinsèque du produit jouent tous un rôle crucial. Comme le souligne justement Alexandre : « La première vente, on pourrait dire qu’elle appartient plus ou moins aux marketeux, aux designers, mais la deuxième vente, quand tu reviens consommer le produit, c’est que tu as quand même apprécié le produit. »

La collaboration technique : les défis de production

La création d’un packaging distinctif implique souvent des défis techniques considérables, particulièrement lorsqu’il s’agit de concevoir des bouteilles sur mesure. À la question de savoir comment Studio Boam aborde la création de moules de bouteilles, Alexandre Arzuman détaille un processus complexe :

« On fait de la 3D avec les logiciels 3D… Ensuite, on donne ça à cotation à des fournisseurs verriers… On reçoit le premier prototype… On peut aussi faire le prototype en espèce de simulacre de verre, c’est généralement du plastique transparent. »

Ce processus illustre l’importance de la phase de prototypage et les nombreuses itérations nécessaires avant d’arriver au produit final. Il souligne également l’importance de la collaboration avec des fabricants spécialisés et la nécessité de comprendre les contraintes techniques de production.

Cette dimension est souvent sous-estimée par les clients, qui peuvent avoir des ambitions créatives déconnectées des réalités de production et des contraintes budgétaires. Les agences spécialisées jouent alors un rôle crucial de médiation entre l’ambition créative et la faisabilité technique.

Le marché des agences spécialisées en design de boissons

Un aspect particulièrement intéressant de la conversation concerne la nature de la concurrence entre agences spécialisées. Contrairement à d’autres secteurs où la concurrence peut être féroce, le marché des agences dédiées au design de boissons semble caractérisé par un certain respect mutuel et une reconnaissance des expertises de chacun.

Comme le montre la discussion entre ces deux professionnels, la spécialisation très pointue dans le secteur des boissons crée une sorte de communauté restreinte où chaque agence a sa propre approche et ses propres forces. Cette situation, plutôt qu’une concurrence frontale, semble favoriser une émulation positive qui bénéficie à l’ensemble du secteur.

En France particulièrement, peu d’agences possèdent cette expertise nichée dans le design de bières, vins et spiritueux. Cette rareté confère aux studios spécialisés une position privilégiée, mais implique également une responsabilité accrue dans l’éducation du marché et l’élévation des standards de la profession.

L’influence de l’IA dans le design de boissons

L’intelligence artificielle transforme rapidement tous les secteurs créatifs, y compris le design de boissons. Les outils d’IA générative permettent aujourd’hui de produire rapidement des concepts visuels, d’automatiser certaines tâches répétitives et d’explorer un large éventail d’options créatives en un temps record.

Cependant, la question se pose de savoir si l’IA peut véritablement remplacer l’expertise humaine dans un domaine aussi nuancé que le design de boissons. La compréhension des subtilités culturelles, l’intuition créative et la capacité à anticiper les tendances demeurent des compétences profondément humaines qui complètent les capacités de l’IA plutôt que de s’y substituer.

Les agences de design les plus avant-gardistes semblent adopter une approche hybride : utiliser l’IA comme un outil d’exploration et d’accélération, tout en conservant le jugement humain pour les décisions finales et l’affinement des concepts.

Les tendances émergentes dans le design de boissons

Le secteur des boissons connaît actuellement plusieurs transformations majeures qui influencent directement l’approche du design et du branding :

1. *La premiumisation des catégories traditionnelles* : Comme l’évoque la discussion sur les sirops Bacanha, même les catégories les plus ordinaires connaissent un mouvement de premiumisation, avec une attention accrue aux matériaux, à la finition et à l’expérience globale.
2. *Le design durable* : Les considérations environnementales occupent une place croissante, poussant les designers à repenser les matériaux, les processus de production et le cycle de vie complet des produits.
3. *L’expérience multi-sensorielle* : Au-delà du visuel, le design de boissons intègre de plus en plus des éléments tactiles, sonores et même olfactifs pour créer une expérience de marque complète.
4. *L’authenticité et la transparence* : Les consommateurs valorisent l’authenticité et exigent une transparence accrue sur l’origine des produits, les méthodes de production et les valeurs de la marque.
5. *La personnalisation* : Les technologies numériques permettent une personnalisation croissante, offrant des expériences sur mesure qui renforcent la connexion émotionnelle avec la marque.

La question du beau dans le design de boissons

Une réflexion intéressante émerge de la discussion concernant la place de l’esthétique dans le design de boissons. Alexandre Arzuman partage cette pensée provocante : « Faire du beau, c’est presque donné à tout le monde. À un moment donné, en tant que designer, tu sais rapidement faire du beau, c’est plus trop un sujet. Par contre, d’avoir une vraie stratégie, un vrai concept sans pour autant derrière faire un truc absolument magnifique. »

Cette réflexion suggère que l’esthétique, bien qu’importante, n’est qu’un aspect d’un design réussi. La véritable valeur réside dans la pertinence stratégique, la cohérence avec les valeurs de marque et la capacité à créer une connexion authentique avec le consommateur.

Dans ce contexte, Studio Boam met en avant le concept de « beauté narrative » – une approche qui privilégie la capacité du design à raconter une histoire significative plutôt que de simplement plaire à l’œil.

Le rebranding : un exercice d’équilibre délicat

La refonte d’identités existantes représente un défi particulier dans le monde des boissons. Les marques établies portent un héritage, une reconnaissance et des associations émotionnelles qu’il faut respecter tout en les faisant évoluer.

Ce processus exige une sensibilité particulière pour identifier quels éléments conserver comme points d’ancrage et lesquels transformer pour insuffler une nouvelle dynamique. L’équilibre entre continuité et renouveau est particulièrement crucial dans le secteur des boissons, où la fidélité des consommateurs peut être fortement liée à des éléments visuels familiers.

Les projets de rebranding réussis commencent généralement par une phase approfondie d’analyse et d’audit de la marque existante, suivie d’une réflexion stratégique sur son évolution. Cette approche mesurée permet d’éviter les ruptures trop brutales tout en permettant une modernisation significative.

La formation des futurs designers spécialisés

Un aspect important soulevé indirectement par la discussion concerne la formation des designers spécialisés dans le secteur des boissons. Alexandre Arzuman mentionne son expérience d’enseignement, qui lui a permis notamment de recruter des stagiaires prometteurs.

Cette dimension pédagogique souligne un enjeu important pour l’avenir du secteur : comment former la prochaine génération de designers spécialisés dans les boissons ? Les parcours traditionnels en design graphique ou en communication visuelle n’abordent généralement pas les spécificités du secteur des boissons, laissant cette expertise se développer principalement sur le terrain.

Les agences spécialisées jouent donc un rôle crucial dans la transmission de ce savoir-faire, que ce soit à travers des stages, des programmes d’alternance, des collaborations avec des écoles de design, voire même l’écoute du podcast SuperPotion™ ^^.

l’avenir du design de marques de boissons

Le design de marques de boissons se trouve à un carrefour fascinant, entre tradition et innovation, entre stratégie et esthétique, entre expertise humaine et technologies émergentes.

Les agences spécialisées comme Studio Blackthorns et Studio Boam jouent un rôle crucial dans cette évolution, en apportant une expertise pointue qui va bien au-delà de la simple création graphique. Leur approche holistique, intégrant stratégie, design, connaissance du marché et maîtrise technique, permet de créer des marques véritablement distinctives et mémorables.

À mesure que le marché des boissons continue de se transformer sous l’influence des nouvelles technologies, des préoccupations environnementales et des attentes des consommateurs, ces agences spécialisées continueront d’évoluer, fusionnant expertise traditionnelle et innovations contemporaines pour créer les marques iconiques de demain.